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Technique de réalisation : Règles et instructions

« Les vues de batailles ont pour but principal non seulement de consacrer le souvenir de grandes actions, mais de servir à l’instruction des militaires. Si la représentation fidèle de l’action militaire doit l’emporter sur toute autre considération, il est nécessaire cependant de s’attacher à l’effet pittoresque, tout l’intérêt et le charme qui peuvent lui appartenir » (Note du 16 août 1839 du général Pelet, directeur du Dépôt de la guerre, au capitaine Genet).

Les représentations figurées des champs de bataille retranscrivent fidèlement la topographie des lieux et les positions des forces en présence. Cet objectif se traduit par une véritable systématisation du travail de dessin : chaque site, chaque champ de bataille est représenté. Parfois plusieurs vues sont réalisées, soit pour rendre compte de l’étendue du terrain, soit pour représenter différents moments de la même journée, en respectant toujours le même angle de vue.

Le premier travail de normalisation est élaboré par Joseph François Marie, chevalier de Martinelli, dit Martinel. Né en Savoie en 1763, ancien officier du roi de Piémont-Sardaigne, Martinel passe dans l’armée française en 1796. Il est chargé, en tant que chef de la section des ingénieurs-géographes en Italie, de préparer des instructions et des programmes précis à l’usage des artistes afin d’obtenir un ensemble cohérent fondé sur l’unité de style. Les tableaux doivent réunir la précision du style nécessaire à la compréhension de la scène, l’exactitude de la représentation des sites pour l’usage topographique, la « vérité » historique telle qu’elle est conçue par ses contemporains, sans oublier une certaine « beauté artistique » pour toucher l’âme du public.

Pour obtenir ce résultat, Martinel rédige des instructions parfois très précises, définissant le but et la méthode de travail pour chaque vue réalisée. Elles comportent une analyse de la bataille rédigée à partir de documents de l’état-major (historique ou rapport du lendemain) ainsi que de témoignages de participants, une étude du site, de sa topographie précise (due aux officiers géographes du dépôt) ainsi que des indications exactes sur le point de vue, l’heure, le jour et l’anecdote choisis par le général directeur du Dépôt de la Guerre pour être représentés par l’artiste. Pour chaque aquarelle est donnée l’heure de la scène à représenter. En 1803, Martinel, poursuivant son travail de réglementation, définit également les formats des œuvres : le plus utilisé mesure environ 50 cm de haut sur 80 cm de long ; un deuxième format est adopté pour les vues à large perspective (60 x 100 cm environ).

En plus de ces instructions, le cœur du travail des artistes du Dépôt de la Guerre, et la singularité de celui-ci, consiste à repérer systématiquement la topographie du site et à réaliser des levers, à la manière des cartographes. Les œuvres sont ensuite réalisées soit sur le vif, soit a posteriori à partir de documents, dessins et esquisses réalisés sur les champs de bataille.

Les dessins préparatoires (identifiés par la lettre C au sein de la collection) portent des traces de ce travail : une « ligne de terre » (C 472) ; une légende manuscrite située sur le bas de la feuille précise également le point de vue choisi par l’artiste : « angle de vue à 80° ».

Cette première étape va déterminer le choix définitif du point de vue. Le dessin retenu, rehaussé de plume et de lavis pour indiquer les reliefs et la lumière, va servir de carton pour l’élaboration de l’aquarelle. Le point de vue représenté et retenu est le plus souvent celui du général en chef, posté sur une hauteur et à distance du coeur de la bataille.

Les artistes ont été impressionnés par la beauté des paysages et de la nature, notamment en Italie ; les représentations du paysage et la composition des œuvres restent cependant classiques. Le champ de bataille présente une structure fermée, agencée comme une scène : un talus ou un bouquet d’arbres tiennent lieu de rideau ; l’objet principal de la composition se trouve au centre, manifesté par la présence d’un village ou délimité par le paysage en arrière-plan. Les instructions rédigées par Martinel demandent que cette structure, si elle n’existe pas naturellement, soit ajoutée au site. Cette vision de la perfection en peinture, basée sur l’équilibre des formes et des masses, doublée d’un souci de lisibilité, donne aux œuvres de la collection du Ministre une grande homogénéité visuelle. Cette unité de style est rejointe par le souhait de montrer une vision objective du fait militaire.

De la même manière que la représentation des paysages, la représentation des soldats est codifiée. L'objet même de la peinture rend l’homme (presque) toujours présent. Le soldat est un des sujets principaux du tableau. Dans les dessins préparatoires, les forces en présence sont symbolisées par de longs traits d’encre bleue ou rouge : bleu pour les Français, rouge pour les ennemis. Ces lignes transforment ainsi le paysage en champ de bataille. La pédagogie militaire impose de montrer toute la ligne de bataille ; ainsi, parfois, de minuscules bandes mouvantes symbolisent les divisions en marche. Parfois, l’individu, de la taille d’une mouche ou même d’une fourmi, apparaît, son uniforme minutieusement représenté.

La nécessité d’exactitude et de précisions est réelle : ces œuvres, lorsqu’elles ont été achevées, peuvent encore présenter un intérêt tactique car elles représentent des champs de bataille potentiels. L'ensemble ainsi constitué a également un but documentaire : il doit aider à la formation des futurs officiers.

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