Le bureau Schoelcher de l'Hôtel de la Marine
Jeudi 09 décembre 2021
Réalisé vers le milieu du XVIIIe siècle, ce bureau caractéristique de l’époque Louis XV est conservé à l’Hôtel de la Marine, ancien Garde-Meuble du roi situé place de la Concorde à Paris, devenu ensuite, durant deux siècles, le siège du ministère de la marine. Ce lieu synonyme de prestige devient aussi un symbole de liberté lors de la signature du décret sur l’abolition de l’esclavage dans les colonies en 1848, conférant à ce meuble en particulier, sur lequel fut actée cette décision, une valeur historique certaine.
Une conception témoignant de la valorisation de l’artisanat et des techniques
Ce bureau classé au titre des monuments historiques et affecté au ministère des armées – Marine nationale est estampillé Dubois. Il s’agit d’une pièce d’ébénisterie et de menuiserie remarquable, caractéristique de la mise en avant de ces artisanats sous Louis XV. Ce roi, dont le long règne est marqué par des succès militaires mais aussi par une paix relative, donne son nom à un style privilégiant confort et intimité sans pour autant abandonner une certaine esthétique grandiose à laquelle Louis XIV était attaché. Les lignes courbes ainsi que les savoir-faire sont mis en avant et les structures sont allégées, soulignant la finesse du travail de l’artisan.
Ce bureau est réalisé en bois satiné mais est également paré de bronzes, dont certains ont probablement été rapportés ultérieurement. Bordé de trois tiroirs en ceinture, il est surmonté d’un plateau à galerie de cuivre et gainé de cuir. Enfin, ses pieds fins et courbes reposent sur de menus sabots. Ainsi, tout en conservant certains ornements, l’ensemble du meuble constitue un ouvrage assez léger et sans les surcharges ornementales propres au mobilier royal.
De manière plus générale, l’Hôtel de la Marine et l’ensemble de son patrimoine représentent le faste avec lequel les intérieurs furent parés au XVIIIe siècle. Avec l’arrivée du ministère de la marine en 1789, ce monument place de la Concorde se double d’une dimension de prestige national, devenant un haut lieu stratégique. L’histoire du mobilier royal prend donc un autre tournant.
Le contexte politique de 1848
Si Louis-Philippe, succédant à Charles X après la révolution de 1830, a souhaité apporter de la stabilité dans le paysage politique du XIXe siècle en réconciliant les différents régimes qui l’ont précédé autour d’une monarchie constitutionnelle ; les idées républicaines continuent néanmoins de circuler. La révolution de 1848 débouche ainsi sur la Deuxième République, proclamée le 4 mai et marquée par l’effervescence des idées démocratiques.
Les valeurs d’égalité, à travers la citoyenneté, et de liberté sont au centre des débats ; en témoignent l’établissement du suffrage universel masculin le 2 mars, mais aussi l’abolition de l’esclavage dans les colonies du 27 avril 1848. C’est cette dernière décision qui transforme définitivement l’histoire de ce meuble, devenu entre-temps le bureau de Victor Schœlcher.
Un meuble témoin de l’abolition définitive de l’esclavage en France
En 1848, l’Hôtel de la Marine devient le témoin d’un événement d’une haute portée symbolique : la signature du décret sur l’abolition de l’esclavage. Si la Révolution française de 1789 en avait déjà posé les jalons en 1794, l’esclavage dans les colonies est rétabli par Napoléon Bonaparte en 1802. Le décret de 1848 revêt donc une importance particulière puisqu’il marque l’abolition définitive de ces pratiques.
Victor Schœlcher, qui milite en ce sens depuis 1840, est nommé sous-secrétaire d’Etat à la marine et aux colonies en 1848, rejoignant ainsi le ministère siégeant place de la Concorde. Le décret abolitionniste est signé sous son impulsion le 27 avril de la même année, en présence de Louis Arago, ministre de la marine, sur ce bureau d’époque Louis XV. On remarquera que cet ouvrage est assez finement exécuté pour s’accorder avec la solennité de l’évènement, mais assez simplement décoré pour convenir au contexte Républicain sans rappeler le faste de la monarchie.
Ce meuble dont le style renvoie à la monarchie d’ancien régime, s’intègre finalement par son histoire dans un contexte républicain et démocratique, témoignant ainsi des bouleversements politiques ayant marqué la France aux XVIIIe et XIXe siècles.
Rédactrice : Emma Dutertre, Bureau des actions culturelles et de musées / DPC / DPMA
Pour aller plus loin
Base « collections » sur Mémoire des Hommes
Le bureau de Victor Schœlcher dans la base Collections de Mémoire des Hommes
La notice du bureau de Victor Schoelcher sur POP : la plateforme ouverte du patrimoine