Le Contrôle de la marine avant 1902 : aperçu historique
On a pu dire que l’Inspection ou Contrôle de la marine remontait à l’origine de l’établissement naval et il est vrai que, dès la fin du XIVe siècle un contrôleur fut adjoint au garde du « Clos des Galées » de Rouen, le premier arsenal installé en France. On trouve à nouveau mention de contrôleurs sous François Ier et Henri II et l’édit sur l ’Amirauté de mars 1584 commence à préciser leur rôle de surveillance et de vérification de l’avitaillement de la flotte et des dépenses. Quant au règlement du 29 mars 1631, il établit dans chacun des trois ports de Brouage, de Brest et du Havre deux contrôleurs qui, sous l’autorité du commissaire général « feront les procès-verbaux des montres et des ouvrages à faire ».
Le règlement du 6 octobre 1674 définit avec davantage de précision le rôle du contrôleur qui doit avoir « une inspection générale sur toutes les recettes et dépenses, sur l’employ de toutes les marchandises, sur le travail de tous les ouvriers » et assister « à tous les comptes et marchés qui se feront pour achat de marchandises.... »
La commission délivrée le 28 décembre 1675 par Louis XIV au contrôleur Levasseur, nommé à Brest est encore plus explicite (1L 28). Le contrôleur y est chargé de :
- 1. « tenir bon et fidel registre des fonds que nous destinerons pour ledit arcenal et des dépenses qui en seront faites ;
- 2. tenir deux autres registres, l’un de toutes les marchandises, armes et munitions qui entreront dans les magasins dudit arsenal et l’autre de celles qui en sortiront pour la construction, radoub et armement de nos vaisseaux ;
- 3. controoler tous les acquits des parties prenantes qui doivent estre rapportez par le trésorier général de la marine, de tous les payements qui seront faits tant pour le prix des marchandises qui entreront dans lesdits magazins, gages et appointements d’officiers, solde et subsistance des équipages, comme pour toutes les autres dépenses qui seront faites pour la marine dans le département dudit arcenal ;
- 4. assister aux rabais qui seront faits par les marchands pour entreprendre la fourniture des marchandises, armes et munitions nécessaires pour ledit arcenal et signer les marchés conjoinctement avec l’intendant de la marine audit port de Brest ou les commissaires de marine qui seront par luy proposez ;
- 5. assister a la réception des marchandises dans les magazins et de touts les ouvrages qui seront faits dans ledit arcenal ;
- 6. signer les inventaires d’armement de nos vaisseaux, les rooles des reveues des esquipages et assister au payement de leur solde et à la visite de leurs vivres ;
- 7. establir des commis dans le magazin général pour y tenir les livres d’entrée et sortie des marchandises et dans les autres endroits ou il en sera besoign ;
- 8. travailler a l’examen des comptes qui seront rendus a la fin de chacune année par le trésorier général de la marine de la recepte et despence faite audit arcenal et ensuite l’arrester et signer pour lui servir de descharge ;
- 9. et généralement faire toutes les fonctions que faisoit ou devoit faire les cy devant pourveus dudit controolle... »
L’ordonnance du 15 avril 1689 reproduit le détail des attributions du contrôleur déjà indiqué dans le règlement de 1674 : « Le controolleur aura inspection sur toutes les recettes et dépenses, achat et emploi des marchandises et travail des ouvriers et il assistera à tous les marchés et comptes qui seront faits par l’intendant ».
Il est présent en personne ou par l’intermédiaire de l’un de ses agents à toutes les opérations qui se font dans l’arsenal (ouverture et fermeture des magasins, revues des équipages et des officiers, paiements de soldes, délivrances de vivres, réception des ouvrages), arrête à la fin de chaque semaine, avec l’intendant, la recette et la dépense de tout ce qui est entré ou sorti des magasins, fait procéder tous les trois mois au recensement des munitions, tient l’enregistrement des ordres royaux et commissions délivrées aux officiers, assure le secrétariat du Conseil des Constructions, conserve « dans un bon ordre tous les registres, contrats, marchés, adjudications et autres papiers et mémoires » qui regardent ses fonctions et en tient un inventaire exact.
Cependant le rôle du contrôleur se limite encore à surveiller la comptabilité et non l’administration. Par ailleurs, si l’article 22 de l’ordonnance lui prescrit d’envoyer chaque année au secrétaire d’état ayant le département de la marine, le registre des recettes et dépenses faites dans le port, le contrôleur reste subordonné à l’Intendant auquel il adresse ses observations. Cette
subordination restreint largement son action ainsi que le fait remarquer, le 12 août 1694, Jérôme Phelypeaux, comte de Pontchartrain, à son père Louis, secrétaire d’Etat à la Marine :
« Le sieur de Clairambault, contrôleur (à Brest), entend parfaitement bien tous les détails du port ; il est appliqué, fidèle et désintéressé, mais l’appréhension qu’il a de déplaire à M. Desclouzeaux (l’intendant) fait qu’il demeure presque sans action dans le port ».
L’ordonnance du 25 mars 1765 qui consacre le triomphe de l’épée sur la plume en confiant au commandant une large part des attributions jusqu’alors dévolues à l’intendant, détermine à nouveau les règles du fonctionnement du service du contrôle dans les ports et reproduit à peu près l’ordonnance de 1689 quant aux attributions du contrôleur : il est présent à l’ouverture des magasins, à un commis dans le magasin général, arrête les registres de recettes et consommations, vérifie la qualité et la quantité des marchandises, tient un registre des marchés et poursuit l’exécution des contrats, contrôle tous les acquits servant à la décharge du trésorier général de la marine, assiste à l’arrêté des comptes du trésorier et du munitionnaire, signe les marchés faits par l’intendant et en vérifie les clauses, fait le recouvrement des sommes dues, enregistre les commissions et brevets, assiste aux revues des officiers et équipages, vérifie la qualité et la quantité des vivres embarquées, assiste au payement de la solde, vérifie au désarmement, la remise des agrès « et autres effets » dans les magasins, visite tous les ouvrages et est présent lors de la réception des travaux, assure le secrétariat du Conseil de Construction.
Les mêmes dispositions se retrouvent dans l’ordonnance du 27 septembre 1776 sur l’administration des ports et arsenaux de la marine, mais une autre ordonnance, datée du même jour, porte établissement d’un corps spécial de contrôleurs désormais distinct de celui des commissaires. L’intention du roi d’accorder une indépendance accrue au contrôle est confirmée dans une lettre du Maréchal de Castries, ministre de la marine à l’Intendant de Brest le 25 août 1786: «...L’intention du roi est que le contrôleur soit absolument indépendant, que son inspection universelle soit exercée dans toute son étendue et que cet officier prenne rang immédiatement après l’ordonnateur du port sans cependant qu’il puisse en remplir la place dans aucun cas attendu que ses fonctions sont essentiellement différentes de celles des ordonnateurs ». (1 E 218) Par là sont consacrées les fonctions d’inspection, l’indépendance et la non-intervention des contrôleurs établis, le 1er décembre 1776, dans chacun des départements de Brest, Toulon, Rochefort, Le Havre, Dunkerque et Bordeaux. D’où le titre de « première chartre du corps du contrôle » souvent donné à l’ordonnance de 1776.
Le décret du 21 septembre 1791 confirme l’indépendance du contrôleur « dans les détails d’inspection dont il est chargé » et son droit de recours direct au ministre : « en ce qui concerne l’emploi des hommes et des matières, il pourra requérir ou remontrer ce qu’il avisera, rendre compte au ministre de ses réquisitions et remontrances s’il n’y était fait droit ». Le décret du 2 brumaire an IV précise qu’il sera tenu de rendre compte tous les dix jours au ministre du résultat de ses observations et toutes les fois qu’il le jugera nécessaire. L’importance du contrôleur grandit car, ainsi que le déclare une instruction ministérielle du 29 frimaire an VI sur la comptabilité des ports, « le contrôleur est et doit être l’observateur général de toutes les parties administratives de la marine ; aucune ne doit être soustraite à ses regards ».
Le règlement du 7 floréal an VIII sur l’organisation de la marine qui crée six arrondissements maritimes dirigés chacun par un préfet dont relèvent tous les services du port institue également dans chacun des arrondissements, un inspecteur qui remplit les fonctions de l’ex-contrôleur définies en 1791 et en l’an IV : « ils exercent leurs fonctions dans une entière indépendance de toute autorité, même de celle du préfet, qui ne pourra arrêter ni suspendre leur inspection. Tous les bureaux et ateliers leur seront ouverts... Ils ne rendront compte qu’au ministre de la marine ».
L’ordonnance du 29 novembre 1815 qui rétablit l’organisation bicéphale du port (Commandant et Intendant) se borne à rendre à l’Inspection son ancien nom de Contrôle sans changer les attributions du contrôleur.
Au contraire, l’ordonnance du 17 décembre 1828 sur le service des ports, rendue en exécution de celle du 27 décembre 1826 portant rétablissement des préfectures maritimes, limite l’indépendance de l’inspecteur, de nouveau désigné sous ce nom, le subordonnant au préfet maritime et le chargeant d’attributions administratives, évolution qui aboutit à l’ordonnance du 3 janvier 1835 : L’inspection et l’administration sont réunies en un seul service à la tête duquel est placé un commissaire général chargé, entre autres attributions, de la surveillance jusqu’alors exercée par l’inspecteur.
Cette organisation dont les défauts furent bientôt reconnus, le commissariat opérant plus pour le compte du Préfet maritime dont il dépendait que pour celui du Ministre, ne devait subsister que neuf ans : l’ordonnance du 14 juin 1844 rétablit l’Inspection sous le nom de Contrôle et réaffirma son entière indépendance dans l’exercice de son rôle. Le contrôleur est subordonné au Préfet maritime sous le rapport hiérarchique mais ne relève, dans l’exercice de ses fonctions, que du Ministre avec lequel il correspond directement. Il requiert du Préfet maritime et des chefs de service, l’exécution ponctuelle des lois, règlements et instructions ministérielles ainsi que des ordres du Préfet maritime. Tous les bureaux, magasins, ateliers et locaux divers lui sont ouverts. Son action s’étend à tous les actes administratifs et comptables de tous les services. Le contrôle doit tout voir et avoir accès partout ; toutes les pièces de comptabilité et tous les actes administratifs doivent être soumis à son visa. Cette organisation subsiste sans grandes modifications jusqu’en 1902.