Portrait du Capitaine de Frégate François-Olivier, lauréat du Prix d'histoire militaire 2021 financé par le ministère des Armées #Interview 1
Jeudi 10 mars 2022
À l'occasion du lancement de l'édition 2022 du Prix d'histoire militaire en avil prochain, le ministère des Armées a rencontré le Capitaine de Frégate François-Olivier, lauréat du Prix d'histoire militaire de l'édition 2021, pour le master 2, et son mémoire intitulé « Quel trident pour Neptune ? Réconcilier technologie et stratégie navale » soutenu à l’École pratique des hautes études sous la direction du professeur Martin Motte.
1-Pouvez-vous nous présenter votre parcours académique et universitaire, ainsi que les raisons qui vous ont incité à faire de la technologie et la stratégie navale votre thème de recherche ?
Officier de marine, j’ai suivi les cours de l’Ecole navale et de l’Ecole de guerre. C’est lors de cette dernière formation qu’il m’a été possible de suivre en parallèle un MASTER2 d’histoire auprès de l’Ecole Pratique des Hautes études (EPHE), sous la direction du professeur Martin Motte. J’ai alors voulu profiter de cette occasion pour résoudre une interrogation relative à l’innovation technologique navale.
En effet, j’avais eu le privilège de servir quelques années auparavant à bord de la frégate de défense aérienne « Forbin », qui était alors le dernier né de la flotte française : c’était un bâtiment ultramoderne à la pointe la technologie. J’avais ensuite commandé le patrouilleur de haute mer « Commandant Ducuing », un ancien aviso qui venait de fêter ses 35 ans. Cela consiste en quelque sorte à passer de la dernière voiture de luxe à la 2CV d’occasion : cela génère un choc, mais aussi une prise de conscience. Par exemple, à bord du « Commandant Ducuing », mes systèmes d’armes analogiques étaient robustes ; ils pouvaient être aspergés d’eau salée et ne pouvaient pas faire l’objet d’une cyberattaque. Mon équipage était plus nombreux, rendant l’organisation du navire plus solide lorsque le navire devait conduire des tâches très variées, comme par exemple conduire une opération d’évacuation de ressortissants sous menace terroriste. En revanche, à bord du « Forbin », mes équipements étaient incroyablement performants, mais présentaient d’autres vulnérabilités, tandis que l’équipage était proportionnellement plus réduit. Cette différence suscite de nombreuses questions : faut-il préférer les performances à la robustesse ? Faut-il privilégier la qualité à la quantité ? Faut-il faire confiance davantage à la théorie ou à la pratique ?
La construction navale militaire étant une équation complexe et ancienne, je me suis demandé s’il n’existait pas des invariants du progrès technologique naval, c’est-à-dire des constantes de l’innovation.
2-Pouvez-vous nous définir en quelques lignes les principes capables de guider l’innovation navale à travers l’étude historique des penseurs navales français du XXe siècle ?
Les penseurs navals français du XXème siècle que j’ai étudié dans mon travail ont proposé plusieurs réponses à ce défi qui dépasse en fait largement les seuls domaines militaire ou naval. Grâce à eux, nous comprenons que la technologie confère la supériorité au combat lorsqu’elle se conforme à plusieurs principes atemporels qui la purifient de ses travers pour l’adapter aux exigences du combat et de la mer. Il s’agit de concilier la haute technologie avec la simplicité et la robustesse, la synergie avec l’autonomie, et la différenciation avec l’homogénéité, tout en préférant le solide au brillant et la connaissance au savoir, en nous gardant de tout excès de confiance et de tout perfectionnisme abusif. L’enjeu consiste au fond à réconcilier la technologie et la stratégie pour éviter les écueils du mécanisme de précision qui ignore la friction, du virtuel qui ignore le réel et de la mode qui oublie la finalité de l’action militaire. L’innovation est absolument indispensable, mais elle ne doit répondre ni à une fascination béate pour la haute technologie, ni au rejet passéiste de celle-ci ; elle doit résulter d’une démarche prudente et agile qui recherche l’équilibre sur la voie d’une stratégie ambitieuse construite à la lumière de l’histoire et de l’expérience.
3-Pouvez-vous nous dire en quoi votre mémoire de master 2 constitue une réflexion, ancrée dans l’histoire et dans l’histoire des doctrines ?
Lors de la guerre des Malouines, le commandant du porte-aéronefs Invincible avait tenu à placer dans sa salle à manger un porte-toast hérité du croiseur Invincible et déformé par un obus allemand lors de la première bataille des Malouines, en 1914. Il souhaitait ainsi se remémorer chaque matin, au petit-déjeuner, l’importance de l’histoire et de ses enseignements.
Le travail que j’ai conduit lui donne raison. Si des progrès évidents ont été accomplis depuis le début du XXème siècle pour améliorer le processus capacitaire naval, certains travers persistent. Et s’il n’existe pas à proprement parler de « stratégie des matériels », il existe vraisemblablement des invariants historiques qui peuvent guider l’innovation technologique : parce que la mer et les principes fondamentaux de la guerre n’ont pas changé, certaines caractéristiques de la technologie navale se révèlent immuables.
4-L'attribution du prix d'histoire militaire dans la catégorie master 2 peut être considéré comme un encouragement pour s'impliquer encore plus fortement dans la recherche. Est-ce le cas pour vous ?
Oui, c’est très clairement le cas : je perçois ce prix davantage comme un encouragement que comme une récompense !
Rattachée au secrétariat général pour l’administration du ministère des Armées, la direction des patrimoines, de la mémoire et des archives (DMPA) a pour mission d’entretenir le lien avec le monde la recherche historique et d’assurer sa cohérence au sein du ministère des Armées. Elle assure aussi le secrétariat du conseil scientifique de la recherche historique de la défense (CSRHD) qui attribue annuellement des aides à la recherche à l’attention de doctorants et le Prix d’histoire militaire (master 2 et doctorat).
Publié le 10 mars 2022