Contexte historique
En 1914, l’Armée reste organisée par la loi du 24 juillet 1873 qui a créé des régions militaires donnant naissance chacune à un corps d’armée en cas de mobilisation, soit 21 au total. A cette date, un corps d’armée est théoriquement composé d’environ 40000 hommes (dont 30000 combattants) répartis en 28 bataillons, et servis par 56 mitrailleuses et 120 canons de 75. Commandé par un général de corps d’armée, il se compose généralement d’un quartier général, de deux (ou parfois trois) divisions d’infanterie, d’une cavalerie de corps, d’une artillerie de corps, de formations du génie et du train, d’un service de santé et vétérinaire, d’un parc de bétail et d’une prévôté. Les efforts de modernisation portés par le général Joffre, chef d’état-major général depuis juillet 1911, ont commencé à transformer les grands commandements et à équiper l’infanterie et la cavalerie de compagnies de mitrailleuses et de cyclistes, le génie de spécialistes de la construction des voies de chemin de fer, de télégraphie et d’aérostation.
Il faut insister aussi sur le fait que la composition des corps d’armée -comme celles des autres unités au cours de la Grande Guerre, et leur rattachement aux armées ont pu considérablement varier en raison de pertes humaines parfois considérables, ou de nécessités opérationnelles ; l’histoire de chaque corps d’armée est donc souvent complexe, et le lecteur intéressé trouvera le plus grand profit à consulter la collection des Armées françaises dans la Grande Guerre et les Historiques régimentaires. Cependant, des éléments d’identification propres à chaque corps d’armée sont succinctement rappelés avant la description de leur fonds, donnant la liste des officiers généraux qui les ont successivement commandés durant les cinq années du conflit et les principales batailles auxquelles ils ont participé.
C’est au cours des combats que les officiers, sous-officiers et soldats qui se sont illustrés par des actes de courage reçoivent des signes distinctifs de reconnaissance. La première année du conflit, il s’agit de félicitations et de citations individuelles et collectives pour faits de guerre, décernées « à l’ordre de.. », qui, disent les textes, ont valeur de témoignage officiel de satisfaction. Les citations individuelles sont ensuite matérialisées et commémorées, dans la loi du 8 avril 1915, par l’institution de la croix de guerre,
conférable aux combattants, français et étrangers, participant à des actions de guerre dans et hors du théâtre principal des opérations.
Dès lors, les citations décernées, lorsqu’elles sont accompagnées de l’attribution de la croix de guerre ou d’autres ordres sont portées à la connaissance de la nation dans les publications du Journal officiel et dans le « Tableau d’honneur » de L’Illustration pour les citations entrainant l’attribution de la légion d’honneur et de la médaille militaire.
Dans les fonds des corps d’armée, les citations sont décernées majoritairement par le premier bureau de l’état-major sur la foi des rapports qui lui remontent, et établis sous forme d’ « ordres de citations à l’ordre du corps d’armée » ; puis de plus en plus souvent, par ses unités d’infanterie, d’artillerie, du génie, etc. et ses services de soutien (service de santé, intendance) qui les décernent eux-mêmes pour leurs hommes. A l’inverse, certaines citations, plus remarquables, sont décernées à l’ordre de l’armée auquel est rattaché le corps d’armée, voire par le président de la république.
Le nombre d’ordres de citations, plus souvent individuelles que collectives, s’accroit au fil du conflit, mais il est particulièrement élevé après une offensive meurtrière et peut alors toucher alors aussi bien des vivants -blessés très souvent- que des morts, dans de très longues listes où chaque paragraphe détaille le ou les motifs de l’attribution. Quant au contenu, au-delà de la formulation liminaire, le texte des ordres de citations est tantôt usuel et formaté, tantôt spécialement libellé pour signaler un fait de guerre particulier, un acte de courage remarquable, une blessure reçue. En dépit d’expressions parfois très convenues (« a montré un mépris total du danger » par exemple), les citations décernées donnent, par les termes employés et les circonstances décrites, un témoignage émouvant des conditions de vie effroyables et de l’horreur des combats qu’ont eu à affronter les soldats, français, coloniaux et étrangers.
Paradoxalement, les ordres conférant une décoration - la croix de guerre et quelquefois la légion d’honneur- sont généralement moins prolixes en détails, étant plus codifiés et associés au texte d’une citation. Mais d’autres ordres composent aussi les fonds, peut-être par suite d’un travail de tri inachevé par les archivistes du service historique à la fin du conflit. Mais cela peut tenir aussi à la matérialité même des documents, originaux, ampliations ou simples copies, ayant tantôt la forme de documents en feuillets, tantôt celle de cahiers et registres (« registres d’ordres ») où sont recopiés pêle-mêle tous les documents produits et reçus par le 1er bureau, pendant le conflit ou après. Ainsi, de nombreux autres actes se trouvent mêlés aux citations et décorations, organisés par ordre chronologique d’émission le plus souvent. C’est ainsi que pour un corps d’armée peuvent être conservés des documents ou copies de documents portant sur une grande variété de sujets : la reconnaissance du service rendu à la nation (félicitation, hommage, décoration, remerciement, vœux, satisfaction, promotion, gratification, avancement, …), maintien de l’ordre dans les troupes (condamnation à mort, des suicides ou par le conseil de guerre, punition, blâme, cassation de grade, rétrogradation, radiation, rappel de la discipline militaire, de l’hygiène ou sur la tenue vestimentaire, …), vie quotidienne sur le front et dans les tranchées (indemnités, attribution de primes d’alimentation, indemnités de vivres, organisation de la vie quotidienne, règles de circulation, …) et la vie militaire des troupes (nomination, décision, commandement, prise de fonction, transfert, mutation, harangue, discours …) concernant aussi bien les troupes métropolitaines que coloniales et étrangères ainsi que les infirmières. Tous ces ordres ne s’adressent aucunement aux civils.
S’il fallait signaler enfin un dernier caractère de ces ensembles documentaires, c’est la variété de leur constitution selon le corps d’armée qui les produit. Elle est particulièrement observable en 1914, où l’on voit différents usages de secrétariat coexister, qui s’homogénéisent au cours du conflit par l’application de prescriptions de correspondance et d’établissement des actes émanant du GQG. Mais on y voit aussi l’empreinte de l’officier général commandant le corps d’armée qui signe les actes, son souci des hommes, de leur condition d’existence au feu ou dans les cantonnements, ou plus superficiellement, son souci des prescriptions de port de l’uniforme et d’ordonnancement des convois au cœur des combats. Chez d’autres se note le souci de conserver méticuleusement les harangues prononcées par les grands chefs aux heures les plus critiques, tels Pétain ou Foch, dont les exhortations vibrantes rappelleront au lecteur d’aujourd’hui combien les ‘forces morales’ des combattants ont pu être sollicitées.