Portrait d'indexeur : Pascal Kuta
"C'était peut-être cela, l'indexation collaborative ? Ensemble, nous avons arraché du lierre"
La campagne d'indexation collaborative pour l'enrichissement de la base des Morts pour la France de la Première Guerre mondiale atteindra bientôt son objectif. A ce jour, il ne reste en effet plus que 298 643 fiches à indexer avec un rythme moyen de 47 000 fiches par mois en 2017.
Derrière cette immense réussite se cachent des femmes et des hommes passionnés et assidus qui, sur leur temps personnel, participent à l'enrichissement du patrimoine archivistique national. Jusqu'à l'indexation de l'ultime fiche, Mémoire des hommes vous présentera le portrait de quelques-uns de ces nombreux indexeurs. Aujourd'hui, rencontrez Pascal Kuta, à qui Mémoire des hommes a posé quelques questions :
Nom : Kuta
Prénom : Pascal
Pays : Belgique
Nombre d'indexation au 06/11/2017 : 59 936
Rang d’annotateur : 1er sur 2 248
Vous avez effectué à ce jour un nombre conséquent d'indexations. Quelles sont les raisons qui vous ont amené à participer à cette campagne ?
Au départ… un peu de hasard, et de simples souvenirs de vacances ! Alors qu’il m’arrivait de consulter le site Mémoire des Hommes pour des recherches personnelles, l’occasion s’est un jour trouvée de lire les fiches de militaires originaires du Pays Cathare – je n’y avais jamais songé qu’à travers sa riche (et tragique, mais si lointaine) histoire, ses châteaux, les randonnées que j’y ai faites dans ses paysages magnifiques… Une beauté qui n’a pas épargné à tant de ses enfants de mourir dans l’enfer de Verdun ou du chemin des Dames ! Naturellement, bien d’autres motivations sont tout de suite entrées en jeu : au premier rang, la gratitude que j’éprouve envers les soldats d’un pays allié, accourus au secours du mien et si nombreux à y avoir trouvé la mort. Il faut lire le récit du chanoine Schmitz (Documents pour servir à l’histoire de l’invasion allemande dans les provinces de Namur et de Luxembourg) pour réaliser le soulagement (bien temporaire) qu’a constitué, pour les populations du Sud de la Belgique, l’arrivée des premières troupes françaises. Le temps a passé, nos ennemis d’alors sont devenus nos amis, mais nous n’avons pas (en tout cas je n’ai pas) oublié ceux qui, alors déjà, étaient nos amis. L’élément déclencheur a cependant été le contraste bouleversant entre une région que j’adore et l’horreur de la guerre : l’amour d’un terroir donc, pas le mien peut-être, mais de celui qui m’a donné tant de bonheur, donc le mien quand même.
Beaucoup d'indexeurs ont leurs propres habitudes d'indexation. Avez-vous des motivations particulières qui expliqueraient les vôtres ?
Quand l’indexation n’était pas encore devenue systématique, l’intérêt particulier pour la bataille de Verdun m’en faisait sélectionner les fiches. Mais depuis, je procède par département de naissance : c’est le plus facile et rapide puisqu’assez rapidement les communes de naissance sont assez bien connues. J’en suis généralement resté aux départements du Sud de la France, y compris de ceux où je n’ai pas l’intention de mettre les pieds. Le docteur Freud aurait sans doute beaucoup à dire là-dessus… Mais moi je ne vois pas.
Pouvez-vous nous en dire plus sur vous ? Votre parcours personnel a-t-il un lien avec la généalogie, les archives ou encore l'histoire ?
Bien qu’il me soit arrivé de faire des recherches généalogiques pour des amis, mes origines familiales se perdent dans les brumes de Pologne ! Ce n’est donc pas la généalogie qui a motivé ma participation à cette campagne. Mon intérêt pour la Première Guerre mondiale vient d’une visite faite, à l’âge de 8 ou 9 ans, avec mes parents dans un cimetière militaire belge, à Rabosée près de Liège. J’avais été très impressionné par le fait que de tels événements se soient passés si près de chez moi, et que toutes les tombes ou presque aient été celles de soldats tombés la même nuit (5-6 août 1914). La forêt qui entoure aujourd’hui ce lieu (j’ignorais alors que les combats avaient eu lieu un peu plus loin) rendait encore plus terrifiante, aux yeux d’un enfant, l’idée d’une bataille nocturne. Quelques mois plus tard, je trouvais dans la bibliothèque de mon village un petit opuscule expliquant ce qui s’y était exactement passé… La graine était semée ! Par la suite, j’ai lu Verdun de Georges Blond et la première visite de ce champ de bataille (c’était le 11 août 1986) m’a profondément marqué : j’y retourne depuis presque chaque année. A l’âge adulte je suis tout naturellement devenu professeur d’histoire dans une école secondaire (l’équivalent d’un lycée français). L’amitié du directeur des publications de l’Institut du Patrimoine Wallon m’a offert l’opportunité, dans le cadre de la commémoration du centenaire de la Grande Guerre, de collaborer à quelques ouvrages sur ce conflit – une diversion bien agréable à mon activité professionnelle !
Auriez-vous une anecdote concernant l’indexation collaborative, la généalogie, la recherche, l’histoire… à partager ?
L’été dernier, en visitant pour la première fois l’abri de combat VLL 1 près de Verdun, mon attention a été attirée par une pierre plus claire sur la paroi de ces ruines envahies par la végétation. Dégagée du lierre qui la masquait, la pierre s’est révélée être un monument dont le texte n’est plus lisible qu’en passant le doigt à sa surface, comme pour lire le braille : « Les survivants du 106e R.I. à la mémoire de leurs camarades ensevelis ici par un obus le 21 juin 1916. Dardet, Desclaudes, Enoq, Godard, Hérouard, Lequenne, Letonquèze, Lina, Mellin, Moreau, Thimotée, Vachez. » Ceux qui l’ont posée croyaient que le souvenir de leurs camarades serait éternel… Les larmes m’en sont montées aux yeux, et puis j’ai compris quelque chose : c’était peut-être cela, l’indexation collaborative ? Ensemble, nous avons arraché du lierre.