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Portrait de Charles-Alban Horvais, lauréat du Prix d'histoire militaire 2022 financé par le ministère des Armées #interview 2

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Jeudi 15 juin

A l’occasion de la campagne doctorale 2023, le ministère des Armées a rencontré Monsieur Charles-Alban Horvais, lauréat du Prix d’Histoire militaire de l’édition 2022 pour sa thèse intitulée « Les armées romaines en Afrique à l’époque républicaine (256 av JC - 46 av JC) » sous la direction de Monsieur Pierre Cosme, université de Rouen Normandie.

 

1-Pouvez-vous nous présenter votre parcours académique et universitaire, ainsi que les raisons qui vous ont incité à faire des armées romaines en Afrique à l’époque républicaine votre thème de recherche ?

J’ai réalisé la première partie de mes études à l’Université de Caen où j’ai obtenu ma Licence d’histoire en 2008 puis mon Master en 2010. Je me suis ensuite dirigé vers les concours de l’enseignement, j’ai obtenu le CAPES d’histoire-géographie en 2012 puis l’Agrégation d’histoire en 2013. Dès lors, j’ai enseigné pendant deux ans en lycée avant de débuter en 2015 une thèse d’histoire romaine au sein du GRHis, le laboratoire d’histoire de l’Université de Rouen, sous la direction de Pierre Cosme. J’ai soutenu cette thèse en décembre 2021. Au cours de ma thèse, j’ai eu l’occasion d’enseigner comme doctorant contractuel avec une mission d’enseignement à l’Université de Rouen puis comme ATER en histoire romaine à l’Université de Nantes (2018-2021) et à l’Université de Caen (2021-2022). J’ai également réalisé trois séjours de recherche à l’École française de Rome en tant que boursier ce qui m’a permis de profiter de la riche bibliothèque de l’École et d’échanger avec de très nombreux chercheurs français et étrangers. Depuis septembre 2022, je suis professeur d’histoire-géographie et d’EMC au lycée Val de Seine de Grand-Quevilly (76). 

L’idée de ce sujet revient à mon directeur de thèse, Pierre Cosme, mais il m’a tout de suite enthousiasmé. En effet, j’avais eu l’occasion d’être initié à l’histoire antique de l’Afrique du Nord en suivant, à l’Université de Caen, les cours d’Yves Modéran et de Claude Briand-Ponsart. J’avais alors pris goût à l’histoire de cet espace. Par ailleurs, je pressentais que ce sujet m’amènerait à m’intéresser à des problématiques plus contemporaines. Or, si mon sujet de première année de Master portait sur l’histoire romaine, j’avais choisi de réaliser un sujet d’histoire contemporaine lors de ma deuxième année de Master. Ce sujet comblait donc toutes mes attentes.

 

2-En quoi l’Afrique du nord occupe-t-elle une place prépondérante durant les deux premières guerres puniques ?

Le terme prépondérant est sans doute trop fort pour la première guerre punique car c’est bien la Sicile qui a constitué le principal théâtre des affrontements entre Romains et Carthaginois durant ce conflit. Toutefois, mes recherches ont démontré que l’Afrique du Nord ne fut pas pour autant un espace périphérique lors de cette guerre. En effet, bien que les récits des Anciens et des Modernes insistent sur l’expédition menée par le consul M. Atilius Regulus entre 256 et 255 av. J.-C., car cette dernière aurait constitué la seule tentative d’invasion du territoire de Carthage par Rome durant cette guerre, au moins deux autres expéditions romaines d’envergure (en 255 et 253 av. J.-C.) visèrent l’Afrique du Nord durant cet affrontement. Ces deux expéditions sont souvent présentées dans les sources comme ayant pour but de secourir les rescapés de l’armée de M. Atilius Regulus pour la première et comme un simple raid pour la seconde. Ce récit des Anciens a été presque unanimement repris par les historiens modernes. Pourtant, plusieurs éléments permettent de mettre en doute ces différents récits. Tout d’abord, l’ampleur de ces expéditions permet de penser que l’objectif des Romains lors de ces deux expéditions était bien d’envahir le territoire de Carthage et non pas de simplement secourir des rescapés ou de mener un raid. En effet, les sources évoquent la présence d’au moins 300 navires en 255 av. J.-C. et d’au moins 150 navires en 253 av. J.-C. De plus, ces deux expéditions furent à chaque fois conduites par les deux consuls de l’année. Ainsi, les deux principaux magistrats de Rome furent mis à la tête de ces flottes ce qui souligne l’importance qui était accordé à ces expéditions par les autorités romaines. Ces différents éléments démontrent que les Romains n’avaient pas abandonné l’idée d’une invasion du territoire de Carthage après l’échec de M. Atilius Regulus en 255 av. J.-C. et que l’Afrique a bien constitué un enjeu d’importance durant ce conflit.

Pendant la deuxième guerre punique, l’Afrique fit dès le début l’objet d’une grande attention de la part des Romains. Plusieurs auteurs antiques indiquent d’ailleurs que l’un des consuls de l’année 218 av. J.-C., Ti. Sempronius Longus, s’était vu confier la mission de débarquer en Afrique. Cette expédition n’eut cependant pas lieu car l’armée du consul fut rappelée en Italie afin de combattre les troupes d’Hannibal. Par la suite, les Romains ne renoncèrent jamais vraiment à l’idée de porter la guerre directement en Afrique. Cependant, les historiens modernes retiennent souvent uniquement les campagnes qui y furent menées par P. Cornelius Scipio, le futur Africain, entre 204 av. J.-C. et 202 av. J.-C. qui sont les mieux documentées par les sources et qui mirent fin au conflit. Pourtant, mes recherches ont permis d’établir qu’au moins huit expéditions romaines visèrent le sol nord-africain entre 217 et 205 av. J.-C. Par ailleurs, les Romains menèrent également des actions diplomatiques en Afrique afin de maintenir une pression sur le territoire carthaginois. Ainsi, lorsque la Sicile, qui constituait la principale base de départ des Romains pour l’Afrique, devint un terrain d’affrontement du fait du retournement d’alliance de Syracuse en faveur de Carthage à la suite de la mort de Hiéron II en 215 av. J.-C., les Romains ne furent plus en mesure de lancer des expéditions vers l’Afrique jusqu’en 212/211 av. J.-C. Privés de toute possibilité de mener une action militaire directe en Afrique durant ces quelques années, les Romains recoururent à la diplomatie. En 213 av. J.-C., le père et l’oncle du futur Africain, qui combattaient les Carthaginois dans la péninsule Ibérique, envoyèrent une délégation à Syphax, le souverain des Masaesyles, afin de lui proposer une alliance. Syphax était à la tête d’un vaste royaume voisin de Carthage et il avait même été l’allié des Carthaginois au début de la guerre. Toutefois, un désaccord avait mis fin à cette alliance et avait entraîné un conflit ouvert entre les deux anciens alliés. Les Scipions n’engagèrent pas directement leurs forces en Afrique mais ils fournirent au souverain masaesyle un conseiller militaire romain afin de l’aider dans son combat contre Carthage. Ces différents épisodes démontrent que, contrairement à la communis opinio, l’Afrique du Nord fut le théâtre de nombreux combats et constitua un enjeu central pour Rome tout au long de la guerre.

 

3- Votre sujet de thèse comble une lacune historiographique. Comment avez-vous réalisé vos recherches ?

En 1892, René Cagnat, particulièrement renommé pour la qualité de ses travaux en tant qu’épigraphiste, avait dédié un vaste ouvrage à l’armée romaine d’Afrique en commençant son étude au début du principat d’Auguste. Pourtant, les premiers contacts entre les armées de la République romaine et l’Afrique eurent lieu plus de deux siècles auparavant. Dès 256 av. J.-C., lors de la première guerre punique, une armée fut envoyée par Rome afin de combattre Carthage et en 146 av. J.-C., avec la chute de Carthage et la naissance de la province d’Afrique, des armées romaines furent régulièrement envoyées dans la province. Dans l’introduction de son étude, René Cagnat justifiait son cadre chronologique en expliquant que les sources pour l’époque républicaine demeuraient trop rares pour permettre une véritable étude de l’armée de la République en Afrique. Certes, la période républicaine est bien moins riche que la période impériale en ce qui concerne les sources épigraphiques et il est ainsi évident qu’il demeure impossible de dresser, par exemple, une liste conséquente des soldats en poste en Afrique durant cette période. Pour autant, il existe de nombreuses sources littéraires sur les conflits qui eurent lieu en Afrique du Nord durant la période républicaine, on peut ainsi penser à Polybe, Salluste ou Tite-Live. De plus, certaines sources littéraires, parfois considérées comme trop tardives, comme Eutrope et Orose, qui écrivirent respectivement aux IVe et au Ve s. apr. J.-C., ou encore Zonaras, un auteur d’époque byzantine qui s’appuie sur les écrits de Cassius Dion, demeuraient peu exploitées par les historiens spécialistes de l’Afrique du Nord, en particulier pour la période des guerres puniques. Ainsi, pour éclairer cette période de l’histoire de l’armée romaine restée dans l’ombre dans les travaux de mes prédécesseurs, j’ai fait usage de toutes les sources à ma disposition - littéraires, archéologiques, numismatiques et épigraphiques - en les croisant mais surtout en les interrogeant à la lumière des dernières évolutions de l’historiographie. J’ai ainsi été amené à recourir à d’autres questionnements que ceux de René Cagnat. De plus, j’ai été particulièrement sensible à l’étude du contexte de production des écrits des auteurs antiques mais également à ceux des historiens modernes ce qui m’a amené à déconstruire certains poncifs ancrés dans l’historiographie depuis la période coloniale. Cela m’a ainsi permis, bien que sous d’autres angles que René Cagnat, d’écrire une histoire des armées romaines en Afrique à l’époque républicaine.

 

4- L’attribution en 2022 du Prix d’Histoire militaire du ministère des Armées pour votre thèse parachève l’aboutissement de nombreuses années de recherche. Quels sont désormais vos futurs projets de recherche ? Sont-ils en lien avec la période antique sur laquelle vous avez réalisé votre thèse ?

Vous avez raison de souligner que la thèse constitue un aboutissement mais permet également d’ouvrir de nouvelles perspectives de recherche. Dans le prolongement de mon travail doctoral, je souhaiterais conduire plusieurs études sur la période antique mais également sur sa réception ce qui m’amènera à poursuivre mes recherches sur l’historiographie moderne de l’Afrique antique.

En premier lieu, les réflexions que j’ai entamées sur la conquête de la province d’Afrique m’ont amené à m’intéresser à l’organisation de cette dernière et à la manière dont les Romains parvinrent à contrôler le territoire et les populations qui l’occupaient. Je souhaite donc poursuivre ces questionnements autour de l’organisation provinciale de l’Afrique aux époques républicaine et augustéenne. Une telle étude sur la création des provinces d’Afrique nécessitera de poursuivre mes recherches sur les modes d’organisation des sociétés nord-africaines antiques, en m’interrogeant, entre autres, sur la pertinence des notions de tribu ou d’État pour qualifier l’organisation sociale et politique des peuples nord-africains.

J’entends également poursuivre et étendre aux périodes triumvirale et augustéenne les recherches menées durant ma thèse sur la composition des armées romaines en Afrique en couplant cette étude à celle des auxiliaires externes, les soldats non-italiens qui servirent dans les rangs romains, et à leur intégration au sein des armées romaines qui combattirent en Afrique jusqu’à la fin du règne d’Auguste.

Enfin, je souhaite continuer mes recherches entamées sur les mémoires des guerres romaines sur le temps long, c’est-à-dire la construction de leur mémoire dans l’Antiquité et leur réception à l’époque contemporaine. Il s’agira d’interroger les représentations et les imaginaires qui ont entouré l’espace africain dès l’Antiquité mais également d’étudier la place tenue par ces imaginaires antiques chez des auteurs ou des penseurs des périodes suivantes en portant une attention particulière aux conséquences de la colonisation et de la décolonisation sur l’écriture de l’histoire de cet espace.

 En savoir plus sur Charles-Albain Horvais

Rattachée au secrétariat général pour l’administration du ministère des Armées, la direction de la mémoire, de la culture et des archives (DMCA) a pour mission d’entretenir le lien avec le monde la recherche historique et d’assurer sa cohérence au sein du ministère des Armées. Elle assure aussi le secrétariat du conseil scientifique de la recherche historique de la défense (CSRHD) qui attribue annuellement des aides à la recherche à l’attention de doctorants et le Prix d’histoire militaire (master 2 et doctorat).

Publié le 15 juin 2023